Portrait du policier français qui a fait tomber le Boucher des Balkans

La condamnation cette semaine de Ratko Mladic, le Boucher des Balkans, doit beaucoup à un commissaire français qui a enquêté pendant six ans sur le massacre de Srebrenica. Portrait.

Jean-René Ruez a repris du service comme commissaire divisionnaire. LP/NICOLAS FORAY  
« Tribunal pénalinternational pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) recherche enquêteur. » En répondant à cet appel d'offres en 1994, Jean-René Ruez n'imaginait pas que sa vie en serait à ce point bouleversée. Ni qu'il contribuerait à écrire l'histoire de l'un des épisodes les plus sombres de la seconde moitié du XXe siècle, le massacre de quelque 8 000 Bosniaques de l'enclave de Srebrenica en juillet 1995.
La condamnation à perpétuité, mercredi, pour génocide, crimes contre l'humanité et crimes de guerre de Ratko Mladic, l'ancien chef militaire des Serbes de Bosnie, c'est en grande partie au travail titanesque de ce policier français que la communauté internationale la doit. « En postulant, je ne m'attendais pas à une vallée de miel et de lait, dit-il d'une voix douce. Mais je n'aurais jamais pu imaginer me retrouver face à une entreprise d'extermination digne des nazis. »
Alors chef du groupe de répression du banditisme à la PJ de Nice, le commissaire Ruez n'hésite pas une seconde à candidater pour le TPIY, créé un an plus tôt par l'ONU. « Je l'ai ressenti comme un appel du destin, développe-t-il. Comme tout le monde, j'avais été choqué par les images de ce conflit en ex-Yougoslavie. Mais j'ai d'emblée été convaincu que cette guerre ne pourrait pas se solder sans procès, qu'il n'y aurait pas de paix sans justice. » Fils d'un couple franco-allemand, le policier ressent implicitement le poids de l'histoire. « Mes deux grands-parents ont combattu à Verdun, mais dans deux camps opposés. Je suis le symbole vivant de la possible réconciliation des peuples », livre cet homme marqué par les procès de Nuremberg.

Un policier face à un génocide

Finalement recruté en avril 1995, Jean-René Ruez débarque avec son épouse à La Haye (Pays-Bas). « En juillet, la chute de l'enclave de Srebrenica tourne en boucle sur CNN. Les survivants racontent aux médias que des milliers d'hommes manquent à l'appel, se remémore-t-il. Exceptionnellement, le tribunal décide d'ouvrir une enquête à chaud. » Voilà donc le policier dépêché à la tête d'une équipe réduite dans les camps de réfugiés bosniaques.
En bon flic de terrain, Jean-René Ruez applique les méthodes classiques de police judiciaire. Sauf que la scène de crime s'étire sur 70 km du nord au sud et 40 km d'est en ouest. Et que les victimes se comptent par milliers. « Pour mener à bien un tel travail, on commence par les fondations, le recueil des témoignages, résume cet architecte de l'investigation. On retrouve des survivants, mais aussi des témoins indirects qui ont entendu des tirs ou aperçu des cadavres. Ce qu'ils nous racontent est tellement dingue que je n'ose y croire. Je me demande si on ne se fait pas enfumer. »
La signature des accords de Dayton en décembre 1995 met fin au conflit en Bosnie et permet aux enquêteurs d'aller sur le terrain. « L'année 1996 sera consacrée à retrouver les lieux du massacre. On travaillait sous très haute protection militaire. Le personnel politique, policier et militaire des Serbes de Bosnie n'avait pas changé : quand on creusait dans le sol, on agissait en fait dans leurs jardins et sous leurs fenêtres ! Je ne redoutais pas de prendre une balle de snipeur mais d'être mutilé par une mine. C'est ça qui était le plus terrifiant. »
La maigre équipe du commissaire identifie cinq sites principaux d'exécutions, commises entre le 14 et le 16 juillet 1995. « C'était toujours le même modus operandi. Les prisonniers étaient amenés par autobus, les yeux bandés, mitraillés puis ensevelis dans des fosses par des bulldozers. Certains blessés ont été enterrés vivants », décrit-il cliniquement. Préalablement, le 13 juillet, environ 800 hommes rassemblés dans un hangar avaient été exterminés. « Les soldats ont fait feu par toutes les ouvertures, en jetant même des grenades. Une boucherie. Il n'y a eu que deux survivants », précise l'enquêteur qui a livré cet insupportable récit à la barre de tous les procès des responsables de cette ignominie, dont évidemment celui de Ratko Mladic.

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